La violence laisse des traces. Des traces physiques, parfois. Mais surtout des traces psychiques et émotionnelles. Aujourd’hui, des termes comme « dissociation », « stress post-traumatique » et les troubles du comportement liés aux conséquences de ces violences sont connus, étudiés, soignés, du moins au sein de notre propre espèce. Dans le domaine de la neuroplasticité, on étudie également les conséquences, sur certaines zones du cerveau, de ces traumatismes. Je me suis, au départ, intéressée à cela dans mes recherches sur les violences faites aux femmes. C’est ainsi que j’ai découvert Le Livre noir des violences sexuelles, de Muriel Salmona,. Et j’ai pris conscience que ces lésions, ces court-circuits, ces blocages concernait toutes les formes de violences et tous les êtres vivants.
Pourquoi ne réagit-on pas ? Pourquoi reproduit-on les mêmes schémas ? Pourquoi se met-on en danger ou dans des situations d’échec ? Pourquoi adopte-t-on des comportements dangereux ou autodestructeurs ? Les liens au bas de cet article vous permettront de vous documenter si cela vous intéresse. En attendant, je vous propose ci-dessous de regarder les explications que donne Muriel Salmona. Ecoutez-la avec attention, notez les mots qui vous sautent aux oreilles :
Je vais maintenant vous demander d’élargir ce champ de réflexion aux violences humaines en général : violences dans l’éducation, violences dans les modèles que proposent une société de domination, fondée sur « la loi du plus fort »(le lion mange la gazelle, le fort domine le faible, l’homme est supérieur à la femme, l’homme maîtrise et domine la nature, l’enfant doit obéir, il existe une hiérarchie entre les peuples, entre les personnes, etc. ) , où la véritable bienveillance, l’empathie, le souci de l’autre sont considérées comme des faiblesses. Ainsi que l’écrivent Pablo Servigne et Gauthier Chapelle dans leur ouvrage L’Entraide : l’autre loi de la jungle:
« Les mythes donnent une couleur au monde. Et une idée répétée mille fois finit par devenir vraie. Faites l’expérience autour de vous : dites que l’humain est naturellement altruiste et on vous prendra probablement pour un naïf ou un idéaliste. Dites qu’il est naturellement égoïste, et vous aurez les faveurs des « réalistes« .
Ce modèle, en réalité destructeur, est aujourd’hui de plus en plus remis en question. Malheureusement, il a eu des siècles, voire des millénaires pour s’installer et faire des dégâts. J’aimerais ne plus avoir à entendre des phrases comme « de mon temps, on ne se posait pas tant de questions » « une gifle n’a jamais fait de mal à personne », « tu fais trop de psychologie »quand j’évoque les conséquences à long terme des violences subies mais aussi reproduites sur les autres et sur nous-mêmes. Ou pire : « il.elle s’en remettra ». « Dans le temps, on… » est la pire des excuses pour reproduire des schémas de violence.
J’aimerais aussi ne plus entendre « ce n’est qu’un animal », « tu te prends trop la tête », « les chevaux/ chiens/ chats/ rats/ lapins/ lions/ tigres/ poissons » ne sont pas aussi compliqués », « il suffit d’une bonne rééducation et… » Oui, je bascule enfin du côté des animaux autres qu’humains, pardonnez-moi ce détour par notre espèce, mais il me semble essentiel.
Je vais maintenant parler des chevaux .Je pourrais évoquer les chiens battus, éduqués à coup de trique, qui « doivent obéir », « connaître leur place », les lapins que l’on trimballe comme des peluches et qui meurent de stress ou sont jetés comme des jouets parce qu’ils deviennent agressifs (tu m’étonnes…), etc. Mais je vais parler des chevaux, parce que je les connais bien – même si ce n’est pas encore assez. Parce que je peux étudier, mais aussi aider ceux qui on subi les violences physiques et psychologiques précédemment décrites. Parce que ce sont des animaux dont la mémoire et la sensibilité sont énormes. . Parce que j’en ai aussi un peu assez qu’on ne prenne pas en compte leur vie émotionnelle, eux qui sont des êtres d’émotions.
L’éthologie est l’avenir de l’équitation, et je souhaite de tout cœur que les cavalier.e.s, ceux qui pratiquent déjà et les générations futures soient éduqué.e.s dans le respect et l’amour des chevaux. Je voudrais juste que l’on prenne en compte que cette approche technique peut ne pas suffire quand on a affaire à des individus traumatisés : il faut autre chose, sinon c’est du pansement.
Ces violences, certains chevaux les subissent dès le sevrage, comme vu dans un précédent article. Mais aussi dans l’éducation. Parfois, ce sont des violences ordinaires, qui s’expliquent parce que nous sommes à moitié prédateur.ice.s et eux complètement proies, parce que nous avons été éduqué.e.s, conditionné.e.s dans l’idée qu’un animal – inférieur à l’homme… – doit obéir, qu’il faut « se faire respecter ». J’extrapole de nouveau : j’imagine que nombre de parents ont écouté des conseils visant à rendre leurs enfants « plus courageux », « moins pleurnichards », « moins capricieux », « plus travailleurs » et ont appliqué, le cœur brisé mais croyant bien faire, lesdits conseils (et vas-y que je te jette dans le grand bain sans bouée, que je te laisse devant ton assiette jusqu’à ce que tu l’aies terminée, que je ne te félicite pas quand tu fais des efforts mais que je t’engueule quand c’est nul, etc.) Avec nos compagnes et compagnons d’autres espèces, c’est pareil (les chiens sont particulièrement concernés par les violences « ordinaires »de leurs gardien.ne.s.)
Reconnaître que nous avons fait subir une forme de violence, de maltraitance à nos ami.e.s autres qu’humains, c’est déjà faire un grand pas. Un grand pas vers leur guérison quand ils ont été blessés, mais aussi la nôtre.
Parfois, ces violences sont délibérées. Qu’il s’agisse de soumettre un animal rétif, de le casser pour en faire un « bon petit cheval de club » (nous avons tou.te.s dans nos mémoires le souvenir d’au moins un de ces équidés, l’œil éteint, le poil terne, qui subissent leur vie, anesthésiés et tristes…) ou un champion – de course, de CSO, de dressage, etc., le cheval devient un outil, un « bien meuble » (on est EXACTEMENT en accord avec la loi) destiné à satisfaire l’égo de son ou sa propriétaire (maître et possesseur).
Ci-dessous, une des pubs les plus abjectes des années 90. Encore une digression ? Peut-être. Surtout une illustration…
Trêve de digression. Enfin, je vais essayer, promis. Et j’en reviens aux violences faites aux autres espèces. Aux violences faites aux chevaux. J’en reviens aussi à la vidéo de Muriel Salmona : « terrorisé » « incompréhensibles » « insensés » sont les premiers mots que j’ai retenus. Ensuite, le stress et la notion de sidération l’émotion est si forte que le cerveau disjoncte. Puis les « souvenirs » , l’anesthésie émotionnelle ou la mise en danger de soi, et les schémas (patterns) comportementaux quand on rentre en résonance avec la violence première. Les trois exemples, ci-dessous, illustrent parfaitement ses propos :
- X. : ex-cheval de course, extrêmement sensible ; disjoncte dès qu’une situation entre en résonance avec ce qu’il a vécu (le bruit d’une porte métallique qui claque, une émotion trop intense, un homme) : en plus d’un lien d’amour profond, il a fallu de longues années de rééducation à pied et montée, un cadre sécurisant, mais aussi un accompagnement holistique – communication intuitive, shiatsu, élixirs floraux, pour l’aider à dépasser ses traumatismes psycho-émotionnels et aller de l’avant (terreur, incompréhension, dissociation)
- Y : lors du débourrage, son dresseur l’a fait tomber et immobilisé au sol. Y présentait des troubles du comportement, cherchant une « ancre » à l’extérieur de lui et non en lui-même, et toujours dans le même schéma d’excès (avec les chevaux comme avec les humains, agressif avec les uns, glu avec les autres). Y souffrait de dissociation. Il faut savoir qu’immobiliser au sol un animal de proie, c’est lui dire « je vais te dévorer ». Alors, quand on n’est pas un lion mais le type ou la fille censé.e être un référent, une personne de confiance, ça donne quoi à votre avis ? La gardienne actuelle de ce petit cheval , une femme remarquable spécialisée dans la rééducation d’équidés traumatisés, dit qu’il a été violé. Le mot est parfaitement choisi. Y, après plusieurs soins en parallèle à sa rééducation, a réussi à évacuer ses mémoires traumatiques. Il est ancré. (incompréhension, sidération, mise en danger de soi)
- Z est un cheval qui, de par ses origines, était destiné à une grande carrière. Z a été débourré trop tôt, par des personnes qui ont vu en lui un outil pour briller (et gagner de l’argent). Z a souffert dans son corps et dans son âme des violences subies, violences physiques et psychologiques : il s’est révolté, devenant dangereux pour les humains. Monté, Z revit le stress subi autrefois. Il met en place des schémas de défense qui sont aussi des entraves à sa guérison. Pour l’aider, en plus d’une rééducation en selle, un suivi holistique est en place (incompréhension, non sens,dissociation, comportement dangereux)
Ces exemples montrent qu’il est nécessaire, pour les humain.e.s de faire l’effort de comprendre pourquoi leur partenaire, leur ami.e, réagit de telle ou telle manière dans certaines situations, et comment l’accompagner au mieux vers la guérison. Nous avons la chance d’avoir des psychologues, mais aussi des approches moins « rationnelles » comme la kinésiologie, la Gestalt-thérapie, la P.N.L, l’hypnose, etc. Les chevaux, les autres espèces en général, ne bénéficient pas de telles aides (et pour cause, nous ne parlons pas le même langage) et jusqu’à présent, communiquer autrement pouvait paraître complètement perché *. Les choses changent, heureusement : l’éthologie, ces vingt dernières années, a permis de reconnaître aux animaux autres qu’humains une sensibilité, des émotions, une culture, une individualité et même des sentiments. Des thérapies alternatives comme le shiatsu, la kinésiologie, les soins énergétiques ainsi que la communication animale intuitive permettent une approche plus sensible des problèmes rencontrés et, ainsi, d’évacuer les lésions qui empêchent ces chevaux, chiens, chats, ours**, lapins, etc. de sortir complètement de leur prison émotionnelle et cognitive.
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Les digressions effectuées tout au long de cet article montrent qu’il est grand temps d’ouvrir la porte aux analogies, lorsqu’on s’intéresse aux traumatismes subis par les autres espèces. Une fois encore, ne se fonder que sur nos différences est un leurre, qui occulte ce qui me semble essentiel : nos besoins fondamentaux, nos émotions, nos sentiments, notre empathie sont les mêmes.
Et c’est avec cette ouverture que l’on pourra, à mon sens, non seulement aider des animaux traumatisés à reprendre le chemin de leur vie, mais aussi comprendre réellement combien nous sommes liés aux autres espèces, et combien notre comportement avec les autres habitants de cette terre est un reflet de celui que nous avons avec celles et ceux de notre propre espèce.
Quelques liens utiles :
- https://www.madmoizelle.com/sideration-dissociation-viol-survie-888909
- https://www.memoiretraumatique.org/psychotraumatismes/memoire-traumatique.html?PHPSESSID=bre35v2s4md1nsmqjlm4l1dsm7
- https://www.youtube.com/watch?v=QxfIez95ALE
*certains horsemen/women et/ou soigneur;euse.s, j’en suis convaincue, communiquent de façon non-verbale avec les chevaux et les autres espèces en plus de les éduquer, de les aider à vivre avec nous avec des gestes justes et compréhensibles.
** ours danseurs, orques, etc. victimes de violences, d’emprisonnement et de maltraitance. Il ne s’agit toutefois pas d’une critique envers des personnes vivant avec leurs compagnons autres qu’humains dans l’amour et la considération (je pense ici à Frédéric et l’ours Valentin, qui subissent malheureusement des violences continues de la part d’associations malveillantes). Mais bien de réelle maltraitance.